Texte, photos et datavisualisation : Lisa Darrault
Depuis une vingtaine d’années, la popularité de la spiruline croît de manière exponentielle. De nombreux producteurs de la micro-algue ont fleuri partout en France, plus particulièrement dans le sud et dans l’Hérault. Alors que la cyanobactérie semblait une bonne affaire, les difficultés rencontrées en font abandonner plus d’un.
Au bout d’un sentier, à Entre-Vignes (34), Thomal Level, fondateur de Spiruline Croq’ la vie, organise régulièrement des portes ouvertes pour faire connaître la spiruline. En 2020, 177 producteurs étaient recensés en France. Avec ses 38 producteurs, soit près d’un sur cinq, l’Occitanie est la deuxième région de culture après la Provence-Alpes-Côte-d’Azur.
1 – Parce que la production n’est pas une science exacte
Ce matin, et depuis une semaine, la récolte est difficile pour Thomas Level : « ici, d’habitude, ce sont des paquets de spiruline qui s’écoulent », soupire-t-il, en désignant l’infime filet vert foncé qui sort de la centrifugeuse. La cause ? Impossible à déterminer. En effet, il n’existe pas de « science exacte » à ce sujet. Producteur depuis quatre ans, Thomas continue à tatonner. Par exemple, il effectue à la main une partie du processus de filtrage, habituellement mécanisée par la centrifugeuse.

Si la Fédération des spiruliniers de France et les normes alimentaires proposent une base de régulation, ce type de culture, encore récente, ne possède pas vraiment de protocole. Dans le milieu, c’est beaucoup d’essais, de bricolages, de découvertes. « Quand un problème survient, on appelle les copains, et on fait des suppositions. » Chaque étape est expérimentale, et diffère selon les producteurs. Après le filtrage, Thomas Level dispose l’amas vert récupéré dans de grands sacs, sous une presse, pour évacuer l’eau restante. Ensuite vient la transformation. À l’aide d’un poussoir à saucisses, il modèle les grosses boules compactes et vertes de spiruline fraîche en minces spaghettis, disposés sur des têtes de séchage et stockés à 38°C pendant quatre heures.
Ni du monde animal, ni du monde végétal, cette cyanobactérie fascine. Au microscope, elle ressemble à des boucles vertes, semblables à des ressorts ou des fusillis (petites pâtes torsadées). Certains brins sont de taille inégale, ou droits. « Les brins un peu plus longs, c’est parce qu’elle manque de fer, elle ne se divise plus, diagnostique François Durand, spirulinier à Viols-le-fort (34) chez Les Siffleurs. Elle fait des cristaux de sucre aussi, parce qu’elle est stressée à cause des variations de températures intenses en ce moment ».
Une fois transformée, la micro-algue peut se consommer sous forme d’aliment, en brindilles, ou en complément alimentaire, en gélules ou en poudre. Elle est utilisée par les sportifs, les végétariens, ou recommandée par les nutritionnistes après des périodes de soins intenses, en cas de coup de fatigue. Riche en protéines, en fer, et en antioxydants, elle a un fort pouvoir d’absorption de CO2, et sa culture en circuit-fermé nécessite peu d’eau.
Parfois, la souche et sa provenance diffèrent. Thomas Level a opté pour une variété du Tchad : « Il existe aussi la Paracas, du Pérou, qui est résistante et fructueuse’, décrit-il. C’est celle que cultive Rémi, chez Algosud, mais il a eu des morts subites, alors j’ai opté pour celle-ci. »
2 – Parce qu’il y a un déséquilibre entre la production et la vente
Lorsqu’une cliente passe récupérer sept sachets de brindilles, Thomas Level se réjouit brièvement. « Voilà, on en est là : on est contents de vendre plusieurs sachets… Si c’est pour sa consommation personnelle, on ne la revoit pas avant 6 mois… » Le principal obstacle est bien la vente. Avec ses quatre bassins, « Plic », « Ploc », « Splash » et « Plouf », il a produit 450kg l’année dernière. Le stock n’est toujours pas écoulé. « C’est très rare de la vendre dans l’année, là par exemple on commercialise celle d’août de l’année dernière. » Même topo chez François Durand, des Siffleurs. « Tous les ans, je vends 60% de ce que je récolte. » Aujourd’hui, il lui reste 10% à 15% de la totalité récoltée en 2020. Pour le moment, aucun des deux exploitants n’a pu se dégager de salaire.

Rémi Bosc, responsable d’exploitation chez Algosud (Lunel), ancien plus gros producteur du pays, est un des premiers à s’être installé en France, en 2000. Pour lui, l’explosion du nombre d’exploitations est problématique : les clients préfèrent la spiruline d’importation. Ainsi, la paysanne française ne représente que 10% des ventes totales. « Le marché n’est pas aussi développé qu’on pourrait le penser. Quand on s’est installés, le ratio était déjà de 10%. Nous sommes passés de 50 à 200 producteurs en quelques années, et le ratio n’a pas changé », témoigne Rémi. Auparavant, il fournissait les magasins de toute la France, avec près de 250 points de vente. Depuis, ceux-ci privilégient les nouvelles fermes locales. Optimiste, Rémi tempère ses propos : « C’est à double tranchant ! S’il y a plus d’exploitations, le produit sera plus connu, et les gens en achèteront plus ! »
Même les plus grosses exploitations, inscrites dans le territoire, ne peuvent faire face au marché saturé par l’importation. Ainsi, le nombre de nouvelles exploitations qui se créent est presque à l’équilibre de celles qui ferment. D’après une étude du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (enquête aquaculture Agreste), si le nombre de fermes continue de croître légèrement, 20% des 191 producteurs d’algues et cyanobactéries en France envisageaient, en 2020, une cessation d’entreprise dans les cinq prochaines années.
3 – Parce que la concurrence internationale est féroce
« Les gens achètent chinois, et indien. » Pour Thomas Level, la difficulté à vendre s’explique par la concurrence internationale. Une enquête de la Fédération des spiruliniers de France (FSF) confirme que 90% des achats viennent d’importation, principalement de Chine et d’Inde. Le coût de la denrée importée est bien plus attractif : 25€ le kg, contre 150€ à 180€le kg pour la française. Et les circuits de vente ne sont pas les mêmes : si les cultivateurs privilégient la proximité (marchés de producteurs, à la ferme, sur le web), les rayons des pharmacies et des magasins d’agriculture biologique abondent de denrées d’importation.

La différence entre la production paysanne locale et celle d’importation vient de la taille des exploitations. Face aux fermes de 50m2 (0,005 hectare) à 2 hectares en France, les exploitations vont de 20 à 50 hectares ailleurs. Pour Nathalie De Poix, productrice en Charente-Maritime et présidente de l’Adasmae (Association Développement Aquaculture Spiruline et MicroAlgues en Europe), les difficultés sont réelles : « En plus des prix, nous devons faire face à une concurrence déloyale ». Les produits d’importations le sont souvent de façon masquée : « une spiruline chinoise, qui a été conditionnée ou transformée en gélules en France, va être étiquetée “produite en France”, à côté d’un drapeau bleu blanc rouge. »
Autre problème, celui du label Agriculture Biologique. « Depuis 2017, les pays tiers (hors de la communauté européenne) ont l’autorisation d’obtenir un label AB par équivalence et non par conformité. » En face, les producteurs français sont confrontés à la quasi impossibilité d’obtenir le label. « L’azote utilisée pour nourrir la micro-algue doit être végétale, ce que l’on n’a pas en France. » expose Nathalie De Poix. Paradoxe, car la cyanobactérie est biologique par essence, grâce à son mode de production sans aucun pesticide, ni herbicide.
4 – Parce que les consommateurs connaissent mal le produit
Le faible coût des produits d’importation s’explique par des contrôles moins précis, et une récolte moins respectueuse de la micro-algue. Le séchage est notamment une étape clé, garant de la qualité : « Les spirulines d’importation sont séchées en grandes quantités, et rapidement, à 400°C », indique Thomas Level, rapidement complété par sa compagne Nathalie : « Ça lui donne un mauvais goût, fort, semblable à celui d’un oeuf. En plus du séchage, le pressage est aussi bâclé, et ça détruit ses propriétés. »

Ce qui entraîne une autre conséquence : une méconnaissance du produit par ses consommateurs. Cette poudre, au goût et aux qualités dégradés, est obtenue par un séchage sous très haute pression. La spiruline de France, elle, est travaillée à température ambiante, dans le respect de ses propriétés. « Ainsi, nous on peut parler d’un aliment et pas d’un complément alimentaire, illustre Nathalie De Poix. Elle est issue d’une production primaire et séchée comme une plante aromatique ».
Thomas Level partage ce point de vue. Avec sa compagne, Nathalie, ils passent une bonne partie des journées à cuisiner la spiruline, en smoothies, panna cotta, salades, pour la faire déguster au cours d’évènements. Et le combat du couple repose là-dessus. « On veut surprendre les gens, leur montrer tout ce qu’on peut cuisiner avec, pour qu’ils aient envie de le reproduire ensuite ! »
La phycocyanine, pigment révolutionnaire
En plus de sa forte teneur en protéines, en fer, et en bétacarotène, la spiruline est riche en phycocyanine, un pigment antioxydant rare. « Elle permet par exemple, de relancer l’activité cellulaire au niveau de la moelle épinière », détaille Pascaline Sauriol*, micro-nutritionniste. La micro-algue favorise le processus de régénération. La médecin en prescrit à la suite de traitements très lourds, mais aussi lors de périodes de transition, de grossesses, ou pour des enfants très fatigués ou gros mangeurs. La phycocyanine, en plus de ses qualités régénérantes, est d’une couleur unique « un bleu vert magnifique, on l’appelle d’ailleurs la fée bleue ». C’est le seul colorant bleu autorisé dans le domaine alimentaire.
Si la spiruline a prouvé ses bénéfices pour les personnes en bonne santé, les micro-nutritionnistes attirent l’attention sur les risques d’une consommation sans conseil d’un pharmacien ou soignant spécialisé. « À cause de sa forte concentration en protéines, nous la déconseillons aux personnes dont les reins fonctionnent mal par exemple, souligne Nicolas Chapel, micro-nutritionniste. Elle peut entraîner des conséquences graves comme des insuffisances rénales ou des arrêts cardiaques. » Pascaline Sauriol quant à elle conseille au moins un avis médical, en connaissance du passé du patient. « Dans le cas des traitements contre le cancer par exemple, la spiruline, antioxydante, peut venir contrer les effets oxydants des traitements et être donc contre-productive.
*le nom a été modifié

